Le Viet Nam doit abandonner le programme électro-nucléaire afin d'eviter un Tchernobyl à Ninh Thuan !

Vietsciences-Nguyễn Khắc Nhẫn    RFA    06/05/2012

 

Interview de la BBC du 26-4-2012 (26e Anniversaire de Tchernobyl )

BBC
: M. le Professeur, pourriez-vous brièvement nous rappeler les causes de la catastrophe de Tchernobyl ?


NKN : La terrible catastrophe de Tchernobyl classée au niveau 7 sur l'échelle INES, survenue en Ukraine le 26-4-1986, a déclenché une prise de conscience mondiale du danger potentiel du nucléaire civil.
L'accident est dû à une série d'erreurs humaines mais aussi à la conception de la centrale nucléaire.
C'est le réacteur N° 4 (type RBMK de l'Union Soviétique) de 1000 MW, à eau légère bouillante, modérée par du graphite et faiblement enrichi en uranium, qui a subi une explosion (non nucléaire) et une fusion du cœur. Ce réacteur, de forme cylindrique (diamètre 12 m, hauteur 8 m), contient 190 tonnes d'uranium enrichi à 2%. Voici les principaux points faibles de ce type de réacteur:

·       Pas d'enceinte de confinement, ni dôme de sécurité

·       Instabilité du réacteur à faible puissance

·       Le caloporteur (l'eau) est également un absorbeur de neutrons et le danger  vient de sa vaporisation

·       La maniabilité des barres de contrôle laisse à désirer

 

C'est une manipulation de quelques électriciens venant de Moscou (et ne connaissant rien sur le nucléaire), dont le but est de démontrer la possibilité de relancer la centrale avec l'énergie cinétique des turbines, en cas de panne extérieure d'électricité, qui est à l'origine de la catastrophe. Des erreurs extrêmement graves ont été commises: non respect des procédures techniques, violation des consignes, mises hors circuit volontaires des dispositifs de sécurité. L'accident survient en raison du blocage et des fractures mécaniques des barres de contrôle contre le graphite. Le régime surcritique (la puissance du réacteur étant multipliée par 100 ! ) a provoqué une série  d'incendies et d'explosions. La première grande explosion, qui est une explosion de vapeur d'eau, a soulevé et projeté en l'air les 1.200 tonnes de la dalle de béton recouvrant le haut du réacteur. La seconde aurait pour cause, soit l'hydrogène, soit le regain de criticité et de la reprise de réactions en chaine.

En plus d'une énorme quantité d'éléments radioactifs libérés dans l'atmosphère (jusqu'à plus de 3000 m), on estime qu'il y a  environ 100 kg de plutonium (sur un total de 400 kg contenus dans le réacteur) dispersés dans l'environnement, lors de  l’incendie.

La fusion du cœur et des structures métalliques a formé un corium sur le plancher situé sous le réacteur. 300 kg de plutonium se retrouvent à l'intérieur de ce magma.

Selon le Professeur Vassili Nesterenko, la sédimentation de ce plutonium fondu peut déclencher une explosion atomique plusieurs dizaines d'années après ! Les experts de l'Académie des Sciences de Biélorussie ont fait remarquer qu'une explosion atomique d'une puissance de 50 à 80 fois supérieure à celle de la bombe d' Hiroshima pouvait même se produire 2 semaines après la catastrophe de Tchernobyl !

Le lobby nucléaire prétend que la probabilité d'avoir un tel accident majeur (fusion du cœur) est de l'ordre de 1/1 million. Mais les gens confondent souvent la probabilité et l'espérance mathématique. Ce chiffre n'est pas fiable, car la probabilité dépend de nombreuses hypothèses. D'autre part, en général, ce sont les hommes qui sont en cause et non pas le matériel. Il faudrait alors tenir compte de la fréquence des erreurs humaines ! La notion de risques est plus vaste que la notion de  probabilité. N'oublions pas que dans la réalité, pendant ces 50 dernières années, il y a eu 5 fusions du cœur : 1 à Three Mile Island, 1 à Tchernobyl et 3 à Fukushima.

(On compte actuellement dans le monde 437 réacteurs totalisant une puissance installée de 370500 MW).
Aujourd'hui, jour d'anniversaire des 26 ans de la catastrophe de Tchernobyl, les techniciens ont commencé à construire un 2e sarcophage géant, d'une valeur de 1,5 milliard d'euros, recouvrant le réacteur accidenté de Tchernobyl, dans le but d'empêcher la
fuite de la radioactivé vers l'extérieur. Non, il n' y a pas de plus coûteuse technologie que le nucléaire !

 

BBC : Selon vous, en comparaison avec Fukushima, quelle est la catastrophe qui a le plus d'impacts?


NKN : Comme beaucoup d'autres experts, je pense que la catastrophe de Fukushima est plus grave que celle de Tchernobyl, parce qu'elle est provoquée par la nature, et elle est plus complexe (bien qu'il existe aussi de nombreuses erreurs humaines, au niveau de la conception). Elle a conduit à la fusion du cœur des réacteurs 1, 2 et 3 et du percement de la cuve et des soubassements de certains d'entre eux (melt-out). Potentiellement, c'est même une vingtaine de fusions possibles ! En effet, les circonstances étaient pratiquement réunies pour que les assemblages de combustibles, stockés dans les piscines, subissent également une fusion.

Le scénario était plus dangereux qu'une simple fusion de cœur, car cela concerne non seulement plusieurs réacteurs, mais aussi des piscines de refroidissement du combustible irradié.

Alors qu'à Tchernobyl, la réaction en chaîne non maîtrisée, a provoqué un emballement du réacteur et donc sa surchauffe, conduisant à une explosion de vapeur ou d'hydrogène ; à Fukushima, la réaction en chaîne s'est arrêtée automatiquement, au moment du tremblement de terre, ce qui réduit la puissance des rejets de produits de fission. Par miracle, à Tchernobyl, le cœur en fusion n'a pas traversé les soubassements, alors qu'à Fukushima, le cœur en fusion a transpercé les cuves et les enceintes, pour pénétrer dans le sol.

Il faut savoir aussi qu'il y avait à Fukushima 877 tonnes de combustibles dans les réacteurs et 3400 tonnes de combustibles usagés dans les 7 piscines, soit un total de 4277 tonnes. Ce chiffre est à comparer à 30 tonnes de Three Mile Island et à 190 tonnes de Tchernobyl.

L'estimation de la quantité de radioactivité dégagée dans l'atmosphère à Fukushima a été de 770000 térabecquerels, soit à peu près 5 fois moindre qu'à Tchernobyl (4 millions de térabecquerels). Mais ces chiffres ne tiennent pas compte des rejets souterrains et dans l'océan, sans oublier que la contamination chemine et se poursuit encore à Fukushima. La quantité de césium 137 rejetée en mer, serait 2 fois supérieure aux retombées des essais nucléaires dans le Pacifique des années 1960. Mais le désastre le plus inquiétant pour le Japon réside dans la contamination du sol, du sous-sol, des nappes phréatiques, bref, de tout le système de circulation d'eau douce par le césium 137. Une proportion d'eau douce difficilement chiffrable, restera impropre à la consommation et à l'agriculture pendant plus de 2 siècles !

Contrairement à TEPCO (Tokyo Electric Power Company), qui cherche à affirmer que seul le tsunami est responsable de la catastrophe, la Commission d'enquête japonaise a émis l'hypothèse, selon laquelle, la tuyauterie principale de la centrale ait été gravement endommagée par le violent séisme de 9° Richter.

 

BBC : Selon vous, pourquoi le Viet Nam se lance t-il dans la construction d'une série de 10 réacteurs nucléaires dans un délai si court ? Ninh Thuan peut-t-il devenir un autre Tchernobyl?

 

NKN: Comme j'ai eu souvent l'occasion de le signaler, le programme électro-nucléaire du Viet Nam est non seulement ambitieux et dangereux mais inutile, en raison du coût extrêmement élevé et du temps perdu, occasionnant ainsi un retard considérable pour l'exploitation intensive des énergies renouvelables.

En dehors de la Chine, aucun pays ne construit des centrales nucléaires avec un tel rythme, tout en minimisant les aspects sécuritaires, scientifiques, économiques, humains et environnementaux. J'ai sans cesse répété que la demande d'électricité du Viet Nam a toujours été fortement exagérée volontairement et elle ne correspond nullement à la réalité !

Selon les prévisions, le Viet Nam aura besoin de 329 à 362 TWh (milliards de kWh) en 2020 et de 695 à 834 TWh en 2030! Je peux vous garantir que ces chiffres ne seront pas atteints. Si nous continuons à courir après cette croissance exponentielle de la demande d'électricité, 15% - 16% par an (en dépit d'une réduction progressive à 11,5%), alors nous allons connaître prochainement une grave crise énergétique ! En France, la demande actuelle est d'environ 500 TWh. Il existe même un scénario proposant une réduction à 360 TWh dans l'avenir, grâce aux économies d'énergie, à l'efficacité énergétique accrue et à une utilisation massive des énergies renouvelables. Alors que partout, on réclame la sobriété, nous, nous encourageons la consommation! Pendant qu'on s'intéresse particulièrement au modèle de la demande, nous, nous privilégions le modèle de l'offre qui entraîne beaucoup de gaspillage. A poursuivre cet élan, nous allons, sans le savoir, avoir trop d'électricité !

Des amis étrangers m'ont demandé si le Viet Nam n'avait pas l'intention de fabriquer des bombes atomiques comme l'Iran ou la Corée du Nord? Je leur ai dit qu'ils devraient s'adresser au Premier Ministre vietnamien. En théorie, chaque année, un réacteur PWR de 1000 MW peut fournir un équivalent de 200 kilogrammes de plutonium. Mais la technologie de fabrication de la bombe n'est pas facile, elle nécessite un certain nombre de conditions minimales. Les réacteurs de type RBMK de la centrale de Tchernobyl, en plus de la fourniture d'électricité, visent également à accroître la quantité de plutonium de l'Union soviétique.

D'autres experts ont émis l'hypothèse selon laquelle, le Viet Nam, se trouvant confrontée à une si forte pression économique ou politique, telle, qu'il doit construire en urgence, une série de 10-12 réacteurs, dans un délai relativement court (jusqu'en 2030), et ce, malgré le danger et les difficultés insurmontables !

Ninh Thuan peut devenir un Tchernobyl, non pas à cause de la technologie, parce que les réacteurs auront une enceinte de confinement, mais en raison du manque de préparation concernant le personnel d'exploitation, peu qualifié, inexpérimenté et non discipliné. D'autre part, la région de Ninh Thuan n'est pas à l'abri des séismes et des tsunamis !. N'oublions pas non plus les mensonges et les négligences de la Société Rosatom (Russie) et la grave crise actuelle du nucléaire civil au Japon! (Ces deux pays vont construire les premiers réacteurs de Ninh Thuan)

Pour éviter un Tchernobyl à Ninh Thuan, je pense que le plus simple est d'abandonner immédiatement le programme électro-nucléaire du Viet Nam. Si non, notre pays risque d'être contaminé par la radioactivité pendant des milliers d'années, paralysant pour longtemps l'économie et causant beaucoup de souffrances inutiles à des compatriotes innocents.

 

BBC : En plus des problèmes économiques et technologiques que vous venez de souligner, le Viet Nam a-t-il un potentiel humain qualifié ?


NKN : Le budjet du Viet Nam prévu pour la formation du personnel en génie nucléaire a été estimé à 3.000 milliards de dong (environ 150 millions de US dollars). Le nombre de spécialistes attendus d'ici à 2020 est d’un total de 3.000. Par rapport à la demande, ce chiffre est relativement faible. Une centrale de 1000 MW a besoin, en moyenne, 800 à 1000 personnes, regroupant divers métiers, dont la moitié sera consacrée au fonctionnement et à la gestion de la production.

Actuellement au Viet Nam, il y a environ 500 personnes qui ont travaillé dans le domaine nucléaire et une centaine de professionnels ayant une connaissance technique de ce secteur. Le nombre de spécialistes de haut niveau ayant une expérience dans les centrales nucléaires est extrêmement limité!

Le Viet Nam a lancé des programmes de formation pour la science et la technologie nucléaires dès juin 2011. Chaque année, 250 étudiants seront diplômés des 5 ou 6 grandes écoles ou universités.

Le plan d'Etat prévoit de former d'ici 2020 environ 350 docteurs et masters et 2400 ingénieurs en génie atomique, 250 docteurs et masters et 650 ingénieurs seront orientés vers la gestion, la sécurité et les applications nucléaires. Parmi les chiffres mentionnés ci-dessus, des centaines d'étudiants seront formés à l'étranger.

Actuellement, la majorité des universités européennes, mettent l'accent sur la formation  du personnel pour démanteler les centrales nucléaires plutôt que d'en construire! Les enseignants expérimentés sont encore très peu nombreux car la technologie du démantèlement est relativement récente. D'autre part, un grand nombre de professeurs en génie atomique sont aujourd'hui à la retraite.

Il serait beaucoup plus judicieux et urgent de consacrer ces millions de dollars à la formation  du personnel pour les énergies renouvelables,  l'efficacité énergétique et les économies d'énergie.

Naturellement, je désapprouve totalement ce gaspillage d'argent pour former des étudiants en génie atomique, car l'énergie nucléaire est dépassée, dangereuse et non économique. Elle n'a aucune perspective d'avenir pour le Viet Nam.

Nous n'avons pas le droit d'encourager les jeunes à aller à contre-courant, en leur faisant perdre inutilement leur temps précieux. Le Viet Nam a besoin d'urgence de repenser sa stratégie énergétique à long terme avant qu'il ne soit trop tard!

 

Grenoble,  26-4 -2012

Nguyen  khac Nhan,

 

Ancien Directeur et Professeur de l'Ecole Supérieure d'Electricité et du Centre National Technique de Saigon,

Ancien Chargé de Mission à la Direction Economie Prospective et Stratégie d'EDF

             Professeur à l'Institut d'Economie et Politique de l'Energie et à l'Institut National

             Polytechnique de Grenoble.

 

Nota : L'original de cet interview est en vietnamien. Il est traduit en français par l'auteur avec la collaboration de Madame Nguyen Dac Nhu Mai, Présidente de l'Association Pour la Promotion des Femmes Scientifiques Vietnamiennes ( Apfsv )

 

 

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