TEPCO (Tokyo Electric
Power Company), l’opérateur de la centrale
nucléaire japonaise de Fukushima, recrute
des « liquidateurs ». Le terme, utilisé en
ex-URSS, pendant la catastrophe de
Tchernobyl, désigne les personnels civils et
militaires intervenant après un accident
nucléaire.
Plus de
trois semaines après le séisme et le
tsunami, qui ont causé l’arrêt des circuits
de refroidissement de la centrale, le risque
d’une catastrophe nucléaire majeure n’est
toujours pas écarté à Fukushima.
Les rejets radioactifs
continuent et au
moins 19 travailleurs ont été blessés par
irradiation.
Il faudra des
années, voire des décennies, pour nettoyer
le site.
« On m’a proposé 1 750 €
par jour : j’ai refusé… »
Tepco
proposerait jusqu’à 3 500 € la vacation,
selon l'agence Reuters. Mission du
liquidateur : se rendre dans les zones les
plus exposées à la radioactivité, afin de
procéder à des réparations.
« Ma
société m’a offert 200 000 yens
(environ 1 750 €) par
jour, confie un employé d’une compagnie
de sous-traitance d’une trentaine d’années à
l’hebdomadaire japonais Weekly Post.
En temps normal,
j’aurais pris ça pour un boulot de rêve,
mais ma femme a fondu en larmes et m’a
dissuadé, alors j’ai refusé… »
« Pour
être franc, personne ne veut y aller »
Il y a
pourtant des travailleurs prêts à accomplir
cette périlleuse mission à Fukushima : c’est
le cas d’Hiroyuki Kohno, 44 ans, contrôleur
de radioactivité. Trois semaines après avoir
vu le tsunami dévaster la centrale de
Fukushima où il travaillait, il vient
d’accepter d’y retourner.
« Pour
être franc, personne ne veut y aller,
déclare-t-il. Les
niveaux des rayonnements dans la centrale
sont très élevés, incroyablement élevés
comparé aux conditions normales. Je sais
qu’en y allant cette fois, je reviendrai
avec un corps qui ne sera plus capable de
travailler dans une centrale nucléaire. »
Célibataire
et sans enfant
Cela fait
une dizaine d’années que M. Kohno travaille
à la centrale Fukushima Daiichi (N° 1).
Quand le 11 mars, le séisme de magnitude 9
suivi d’un puissant tsunami a mis hors
service les installations, il a quitté les
lieux et a trouvé refuge dans un centre
d’hébergement d’urgence à Kazo, au nord de
Tokyo.
Quinze jours
après, il a reçu un e-mail de son employeur,
une filiale de la compagnie Tokyo Electric
Power (Tepco), gestionnaire de Fukushima.
« Nous souhaiterions que vous veniez
travailler à la centrale, disait le
message. Le
pouvez-vous ? »
Célibataire
et sans enfant, Hiroyuki Kohno a senti qu’il
était de son devoir d’accepter la mission.
« La rotation
des équipes devient de plus en plus
difficile »
Exposés à
d’énormes doses de rayonnements ionisants,
dont le plafond a même été relevé par les
autorités nippones étant donné le contexte
d’urgence, les personnels intervenant à
Fukushima doivent être régulièrement
remplacés.
« La
rotation des équipes devient de plus en plus
difficile et mes amis ont des familles à
revoir », explique
le technicien.
Aîné d’une
fratrie, Hiroyuki Kohno a dû annoncer à ses
parents qu’il se préparait à partir pour
Fukushima. Il l’a fait en minimisant à
dessein les risques qu’il allait courir.
Mais il n’a réussi à tromper personne. Son
père, qui a aussi travaillé de longues
années à Fukushima, lui a dit de n’écouter
que son cœur, tandis que sa mère lui a
simplement lancé :
« Reviens aussi vite que tu pourras ! »
« Nous
n’avons pas l’intention de mourir, mais de
sauver le Japon »
M. Kohno
s’attend à travailler dans l’unité de
contrôle de la centrale, où il devrait
recevoir, chaque heure, la dose de
rayonnements qu’une personne reçoit en
moyenne en une année ! Mais il confie penser
d’abord à soulager ses collègues sur place :
« Il existe une expression en japonais :
Nous mangeons tous dans le même bol. Ce
sont des amis avec qui j’ai partagé mes
peines et mes joies. C’est pour cela que j’y
vais. »
« Nous
nous disons que le Japon a été profondément
ravagé lors de la deuxième Guerre mondiale.
Aujourd’hui le Japon est à nouveau brûlé
dans sa chair. Même si le terrain de lutte
est différent, nous sommes les kamikazes des
temps modernes,
affirme M. Kohno.
Nous n’avons pas l’intention de mourir mais
de sauver le Japon. »