Les centrales nucléaires, de la conception à la mise en service,
de l'exploitation à la maintenance, réclament une technologie
hautement sophistiquée et très coûteuse.
Le coût d’investissement, en monnaie constante d’une date de
référence, comprend les coûts directs de 75 a 80% (génie civil,
équipements, montage, essais...) et les coûts indirects de 20 a
25% (terrain, frais de maître d’œuvre et administratifs …). La
réduction de ce coût peut être obtenue s’il y a effet de taille,
de série (standardisation) ou de duplication sur le même site.
Il faut tenir compte des intérêts intercalaires qui sont
importants, car la durée de construction des centrales nucléaires
( 5 à 7 ans minimum) est plus longue que celle relative aux
centrales au charbon (3 à 4 ans) ou au gaz (2 à 3 ans).
En France, le coût d’investissement, avec un taux d’actualisation
a = 8%, s’établit comme suit : nucléaire EPR 1600 MW : 1700 Euros
/ kW, charbon 900 MW : 1400 Euros / kW, cycle combine gaz 900 MW :
200 Euros / kW.
Le coût total d’investissement doit intégrer le coût du
démantèlement actualise à la date de mise en service (valeur
faible en raison de l’éloignement de la dépense dans le temps).
Le coût du cycle du combustible tient compte, outre le séjour dans
le réacteur, de la partie amont (obtention de l’uranium sous forme
de U3O8, conversion UF4 et UF6 a l’uranium enrichi, enrichissement
de l’uranium, fabrication des éléments combustibles) et de la
partie aval (transport des assemblages irradiés, retraitement du
combustible, transport et stockage des déchets radioactifs,
crédits du retraitement). Par rapport au gaz, la part du
combustible nucléaire dans le kWh est bien plus faible, 20% au
lieu de 70%.
Le coût d’exploitation et de maintenance qui représente 15 a 25%
dans le coût actualise du kWh nucléaire comprend les frais de
fonctionnement, du personnel, d’entretien, les frais
administratifs, les impôts, les taxes, les assurances, la
radioprotection, la gestion des déchets nucléaires…
Le coût de démantèlement d’une centrale nucléaire peut représenter
25 à 40% du coût d’investissement (soit 500 à 800 millions USD
pour un réacteur de 1000MW !). Déjà en 2004, l’AIEA a estime qu’il
faudrait 1000 milliards USD pour décontaminer et démanteler les
installations militaires et civiles du monde ! La moitié de ce
montant concerne les laboratoires et les 440 réacteurs en service
! En France le CEA, EDF et AREVA ont déjà provisionné 25 milliards
d’Euros pour ce chapitre. En Grande Bretagne, le coût réévalue
pour le démantèlement du parc nucléaire (moins important que celui
d’EDF) s’élève a 100 milliards d’Euros ! Au colloque consacré au
démantèlement qui s’est tenu début octobre 2008 a Avignon,
certains experts pensent que ces chiffres colossaux devraient être
encore revus en hausse en raison de l’inflation.
En France, les coûts de production prévisionnels pour 2015 (Euros
de 2001) sont : nucléaire EPR : 28,4 Euros/ MWh, charbon lit
fluidise : 32 Euros/ MWh, cycle combine gaz : 35 Euros/ MWh.
Ces valeurs ne tiennent pas compte des coûts externes (émissions
de CO2, accidents, rejets radioactifs…) très difficiles à évaluer.
En plus des coûts environnementaux, on distingue aussi des coûts
externes économiques ou politiques, tels que la sécurité
d’approvisionnement.
Voici quelques chiffres nous permettant de mesurer l’importance du
nucléaire civil dans l’économie française qui a su mobiliser des
moyens financiers et humains considérables.
La valeur ajoutée de l’industrie nucléaire atteint 28 milliards
d’Euros /an.
Dans les années 2000, l’impact sur la balance commerciale atteint
15 milliards d’Euros. Ce chiffre tient compte des exportations
(ventes d’équipements, services et électricité nucléaire) ainsi
que l’économie réalisée dans la facture énergétique (réduction de
l’importation du gaz et du pétrole). L’exportation des kWh
nucléaires français a été rendu possible grâce au suréquipement
(environ 5 réacteurs) du parc PWR.
En ce qui concerne l’emploi, sur un effectif de 100.000 personnes
on peut retenir les chiffres suivants : EDF 20.000, Entreprises
extérieures 20.000, AREVA, CEA et ANDRA 55.000
Le conférencier a présenté un exemple de calcul du coût actualisé
du kWh de la centrale de Nogent d’EDF (2 X 1300 MW). Mise en
service en 1989., cette centrale a reçu la visite du 1er Ministre
Vietnamien lors de son dernier séjour en France. Un tableau
montrant la structure des coûts du cycle du combustible PWR permet
de connaître le poids relatif de chaque étape du cycle durant la
décennie 80.
Le programme nucléaire français adopte avec succès le cycle ferme
du combustible (la plupart des autres pays ont un cycle ouvert). Du
point de vue économique, l'électricité produite en France est
l'une des plus compétitives d'Europe grâce en particulier a la
standardisation des équipements. Pour un fonctionnement en base,
le kWh nucléaire français apparaît plus compétitif que le gaz et
le charbon. Hors accident, cette compétitivité augmente si l'on
tient compte des coûts externes (émissions de CO2 …)
Il ne faut pas oublier un atout non négligeable du programme
nucléaire français, celui d’avoir EDF comme directeur de projet,
architecte- ingénieur (conception- réalisation) et exploitant
unique.
Dans le cas du Viet Nam, sur le plan macroéconomique, il va
falloir aussi mesurer l’impact du nucléaire sur la croissance
économique, le poids de l’investissement sur l’épargne nationale,
l’amélioration (ou non) de la balance commerciale, de la
compétitivité économique, de la sécurité d’approvisionnement, la
réduction de la facture énergétique, la création d’emplois… sans
oublier l’impact social (acceptation du public).
La crise financière et économique mondiale actuelle risque de
poser de sérieux problèmes d’autant plus que la croissance du PIB
est révisée en baisse avec une inflation en hausse.
Le conférencier déplore une planification énergétique du pays peu
rigoureuse comprenant souvent des scénarios fantaisistes et
financièrement irréalisables (6e plan de développement
électrique). Il reste persuade que la consommation électrique du
Viet Nam n’atteindrait pas le chiffre exorbitant de 450 TWh
(milliards de kWh) en 2025 comme annonce ! Ce chiffre n’est autre
que la consommation intérieure de la France actuellement ! Aucun
pays au monde peut courir après un taux d’accroissement
exponentiel de la demande aussi insoutenable de 15 a 17% qui exige
un doublement de la capacité des centrales et des réseaux tous les
4 ou 5 ans. Ce taux explosif correspond, avec un taux du PIB du
pays égal à 8%, a un coefficient d’élasticité record, voisin de 2
! D’où l’urgence d’un programme d’économies d’énergies afin de
récupérer les pertes et les gaspillages.
Le refus récent de l’EVN, faute de moyens financiers, de
construire 13 centrales électriques totalisant une puissance
installée de 13800 MW démontre justement le manque de rigueur dans
la programmation. Avec un tel rythme et si la crise mondiale
persiste, le Viet Nam aura des centrales électriques à revendre !
Sur le plan microéconomique, la rentabilité de la centrale
nucléaire doit être démontrée.
Quel serait le taux d’actualisation ? (taux qui reflète en quelque
sorte la rareté des capitaux).
Quelle serait l’importance des intérêts intercalaires a prendre en
compte ? Quelle est la méthode de choix optimal des équipements de
production ? (le conférencier a montre un schéma de principe connu
a EDF). Comme la prévision est fortement exagérée, il serait
extrêmement difficile d’ajuster en temps réel l’offre et la
demande ! La cohérence des choix doit être mise en évidence et le
calcul économique doit intégrer les coûts de défaillance du
système électrique.
Comment renforcer l’infrastructure industrielle ? La formation des
spécialistes et du personnel qualifié exige un coût élevé. Mais
l’important c’est aussi la discipline et la rigueur des hommes et
des femmes dans l’exécution de leurs tâches quotidiennes. La
fiabilité et la sûreté nucléaire réclament un contrôle extrêmement
sévère, à défaut duquel l’assurance de qualité est impossible. Le
danger peut venir de la corruption ou des vols au chantier (cas de
la raffinerie de Dung Quat en cours de construction).
Sur le plan juridique, il y a des structures a créer : l’autorité
de sûreté nucléaire doit s’imposer par sa compétence et sa rigueur
objective. Le long cheminement d’un dossier de demande
d’autorisation de création d’une centrale nucléaire aux Etats Unis
ou en France démontre la lourdeur et la complexité administrative
et juridique qui allonge le délai.
Les sites nucléaires choisis, tel que Ninh Thuan, ne sont pas à
l’abri des aléas climatiques (inondation, tempête, ouragan,
typhon, tremblement de terre…. On sait qu’après le séisme du 16
juillet 2007 (6,8 degré Richter), le gouvernement japonais a donne
l’ordre a TEPCO de fermer pour un an la plus importante centrale
nucléaire du pays (Kashiwazaki-Kariwa – 8212 MW) et de renforcer
les coefficients de sécurité sismique de l’ensemble du parc.
Le renouveau du nucléaire dans le monde (effet conjugue de
l’augmentation des prix du pétrole et du réchauffement climatique)
risque de provoquer une augmentation rapide et continue des prix
de l’uranium dans l’avenir. Même si son poids financier dans le
prix de l’électricité est relativement faible, par comparaison
avec le gaz ou le charbon, ce surtout réduit dans une certaine
mesure l’avantage économique du nucléaire.
Compte tenu de l’ensemble de ces considérations et si l’on ajoute
le coût des interventions en experts et matériels en provenance de
l’étranger, le coût de démantèlement, le coût de gestion des
combustibles irradiés et le coût du stockage des déchets
radioactifs … le conférencier reste persuadé que le kWh nucléaire
vietnamien ne sera pas économique et que la course prématurée au
nucléaire civil constitue une erreur stratégique et financière (
la construction simultanée de 4 réacteurs (au lieu d’un seul) dès
le démarrage du programme est une faute très grave !)) dont les
conséquences seront catastrophiques pour le pays.
Avec une volonté politique claire et déterminée de promouvoir
rapidement les énergies renouvelables, les économies d’énergie,
l’efficacité énergétique, le potentiel des ressources naturelles
du Viet Nam en charbon, gaz, pétrole et hydraulique permet au pays
d’attendre l’introduction commerciale des réacteurs de 4e
génération a l’horizon 2030-2035.
* Union des Etudiants Vietnamiens en France
** Nguyen Khac Nhan, ancien Chargé de mission à la Direction
Economie, Prospective et Stratégie d'EDF et ancien Professeur à
l'Institut National Polytechnique et à l'Institut d'Economie et
Politique de l’Energie de Grenoble