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En
1964, Sartre écrit et publie Les Mots. Peu de temps avant d'être
annoncé officiellement la rumeur court que Jean Paul Sartre allait
recevoir le prix Nobel, Sartre écrivait alors le 14 octobre 1964
une lettre d'excuses au secrétaire de l'académie Nobel.
Monsieur
le Secrétaire,
D'après certaines informations dont j'ai eu connaissance
aujourd'hui, j'aurais cette année quelques chances d'obtenir le
prix Nobel. Bien qu'il soit présomptueux de décider d'un vote
avant qu'il ait eu lieu, je prends à l'instant la liberté de vous
écrire pour dissiper ou éviter un malentendu. Je vous assure
d'abord, Monsieur le secrétaire, de ma profonde estime pour l'académie
suédoise et le prix dont elle a honoré tant d'écrivains.
Toutefois pour des raisons qui me sont personnelles et pour d'autres
qui sont plus objectives, je désire ne pas figurer sur la liste des
lauréats possibles et je ne peux ni ne veux, ni en 1964, ni plus
tard, accepter cette distinction honorifique.
Je vous prie, Monsieur le secrétaire d'accepter mes excuses et de
croire à ma très haute considération.
Mais la lettre ne fut pas ouverte et de toute
façon, le vote avait déjà eu lieu. Le 22 octobre 1964 un membre
de l'académie annonça officiellement : " Le prix Nobel de
Littérature cette année a été attribué à l'écrivain français
Jean Paul Sartre pour son oeuvre qui par l'esprit de liberté et la
recherche de la vérité dont il témoigne a exercé une vaste
influence sur notre époque.
Sartre écrivait alors une lettre à l'académie, exprimant pourquoi
il refusait ce prix. Voici quelques extraits de cette lettre :
Je
regrette vivement que l'affaire ait prix une apparence de scandale :
un prix est distribué et quelqu'un le refuse.
[?] J'y ai invoqué deux sortes de raisons : des raisons
personnelles et des raisons objectives.
Les raisons personnelles sont les suivantes : mon refus n'est pas un
acte improvisé. J'ai toujours décliné les distinctions
officielles. Lorsque après la guerre, en 1945, on m'a proposé la légion
d'honneur, j'ai refusé bien que j'aie eu des amis au gouvernement.
De même, je n'ai jamais désiré entrer au Collège de France comme
me l'ont suggéré quelques-uns de mes amis. [?] Ce n'est pas la même
chose si je signe Jean Paul Sartre ou si je signe Jean Paul Sartre
prix Nobel. [?] L'écrivain doit donc refuser de se laisser
transformer en institution même si cela a lieu sous les formes les
plus honorables comme c'est le cas. [?]
Mes raisons objectives sont les suivantes : Le seul combat
actuellement possible sur le front de la culture est celui pour la
coexistence pacifique des deux cultures, celles de l'est et celle de
l'ouest. Je ne veux pas dire qu'il faut qu'on s'embrasse, je sais
bien que la confrontation entre ces deux cultures doit nécessairement
prendre la forme d'un conflit, mais elle doit avoir lieu entre les
hommes et entre les cultures, sans intervention des institution. [?]
Mes sympathies vont indéniablement au socialisme et à ce qu'on
appelle le bloc de l'est, mais je suis né et j'ai été élevé
dans une famille bourgeoise. [?] J'espère cependant bien entendu
que " le meilleur gagne ", c'est à dire le socialisme.
C'est pourquoi je ne peux accepter aucune distinction distribué par
les hautes instances culturelles, pas plus à l'est qu'à l'ouest, même
si je comprends fort bien leur existence. Bien que toutes mes
sympathies soient du cote des socialistes, je serais donc incapable
tout aussi bien d'accepter par exemple le prix Lenine si quelqu'un
voulait me le donner, ce qui n'est pas le cas. [?] Pendant la guerre
d'Algérie alors que nous avions signé le " Manifeste des 121
", j'aurais accepté le prix avec reconnaissance, parce qu'il
n'aurait pas honoré que moi mais aussi la liberté pour laquelle
mous luttions. Mais cela n'a pas eu lieu et ce n'est qu'à la fin
des combats que l'on me décernait le prix.
Le refus fit beaucoup
parler, et fit même un peu scandale, André Maurois affirma même,
que si Sartre avait refusé le prix Nobel, c'est qu'il se savait
incapable de porter un habit.
http://www.fondation-laposte.com/illiclic/articles.cfm?action=VOIR_ARTICLE&article=251
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Pourquoi
avez-vous refusé le prix Nobel de littérature en 1964?
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J'ai refusé le Prix Nobel de littérature parce que je refusais que
l'on consacre Sartre avant sa mort. Aucun artiste, aucun écrivain, aucun
homme ne mérite d'être consacré de son vivant, parce qu'il a le pouvoir
et la liberté de tout changer. Le Prix Nobel m'aurait élevé sur un piédestal
alors que je n'avais pas fini d'accomplir des choses, de prendre ma liberté
et d'agir, de m'engager. Tout acte aurait été futile après, puisque déjà
reconnu de façon rétrospective. Imaginez: un écrivain pourrait recevoir
ce prix et se laisser aller à la déchéance, tandis qu'un autre pourrait
devenir encore meilleur. Lequel des deux méritait son prix? Celui qui était
au sommet et qui a redescendu la pente ou celui qui fut consacré avant
d'atteindre le sommet? J'aurais pu être l'un des deux, et jamais personne
n'aurait pu prédire ce que je ferais. On est ce que l'on fait. Je ne
serai jamais récipiendaire du Prix Nobel, tant et aussi longtemps que je
pourrai encore agir en le refusant.
Jean-Paul Sartre
Conférence de presse:
Document pris sur le site officiel de la fondation du Prix Nobel
http://www.nobel.se/literature/laureates/1964/press.html
The Nobel Prize in Literature 1964
Speech by Anders Österling, Member of the Swedish Academy:
This year the Nobel Prize in Literature has been granted by the Swedish
Academy to the French writer Jean-Paul Sartre for his work which, rich in
ideas and filled with the spirit of freedom and the quest for truth, has
exerted a far-reaching influence on our age.
It will be recalled that the laureate has made it known that he did not
wish to accept the prize. The fact that he has declined this distinction
does not in the least modify the validity of the award. Under the
circumstances, however, the Academy can only state that the presentation
of the prize cannot take place.
Refusal
In a public announcement, printed in Le Figaro of October 23, 1964, Mr.
Sartre expressed his regret that his refusal of the prize had given rise
to scandal, and wished it to be known that, unaware of the irrevocability
of the Swedish Academy's decisions, he had sought by letter to prevent
their choice falling upon him. In this letter, he specified that his
refusal was not meant to slight the Swedish Academy but was rather based
on personal and objective reasons of his own.
As to personal reasons, Mr. Sartre pointed out that due to his conception
of the writer's task he had always declined official honours and thus his
present act was not unprecedented. He had similarly refused membership in
the Legion of Honour and had not desired to enter the Collège de France,
and he would refuse the Lenin Prize if it were offered to him. He stated
that a writer's accepting such an honour would be to associate his
personal commitments with the awarding institution, and that, above all, a
writer should not allow himself to be turned into an institution.
Among his objective reasons, Mr. Sartre listed his belief that interchange
between East and West must take place between men and between cultures
without the intervention of institutions. Furthermore, since the
conferment of past prizes did not, in his opinion, represent equally
writers of all ideologies and nations, he felt that his acceptance might
be undesirably and unjustly interpreted.
Mr. Sartre closed his remarks with a message of affection for the Swedish
public.
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At the banquet, S. Friberg, Rector of the Caroline Institute, made the
following remarks: "Mr. Sartre found himself unable to accept this
year's Prize in Literature. There is always discussion about this prize,
which every one considers himself capable of judging, or which he does not
understand and consequently criticizes. But I believe that Nobel would
have had a great understanding of this year's choice. The betterment of
the world is the dream of every generation, and this applies particularly
to the true poet and scientist. This was Nobel's dream. This is one
measure of the scientist's significance. And this is the source and
strength of Sartre's inspiration. As an author and philosopher, Sartre has
been a central figure in postwar literary and intellectual discussion -
admired, debated, criticized. His explosive production, in its entirety,
has the impress of a message; it has been sustained by a profoundly
serious endeavour to improve the reader, the world at large. The
philosophy, which his writings have served, has been hailed by youth as a
liberation. Sartre's existentialism may be understood in the sense that
the degree of happiness which an individual can hope to attain is governed
by his willingness to take his stand in accordance with his ethos and to
accept the consequences thereof; this is a more austere interpretation of
a philosophy admirably expressed by Nobel's contemporary, Ralph Waldo
Emerson: 'Nothing is at last sacred but the integrity of your own
mind.'"
The quality of human life depends not only on external conditions but also
on individual happiness. In our age of standardization and complex social
systems, awareness of the meaning of life for the individual has perhaps
not been lost, but it has certainly been dulled; and it is as urgent for
us today as it was in Nobel's time to uphold the ideals which were
his."
From Nobel Lectures, Literature 1901-1967.
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